Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Carnets d'automne

19 avril 2020

Stendhal pour les "Happy few"!

Dans son "Journal de Vézelay 1938-1944", Romain Rolland écrit une page superbe sur sa passion pour Stendhal, qui ravira les passionnés de l'auteur du "Rouge et le Noir":

"J'ai relu, ces derniers temps, "La Chartreuse de Parme". Un de mes regrets est de ne pas avoir été convié à écrire un essai sur ce livre qui m'est cher, en introduction à sa grande édition Champion ( qui reste encore à faire parmi ses "Oeuvres complètes"). J'en ferais la demade, si les deux frères Champion n'avaient disparu, et si toutes leurs belles éditions ne restaient en panne. - Il me semble que personne, en France, ne peut mieux être en communion secrète de coeur et d'esprit avec l'auteur de la "Chartreuse" - Et que c'est curieux! Cet auteur même, sa personnalité, telle qu'il l'a notée dans son "Journal" insipide, ne m'est rien moins que sympathique: vulgaire, plate, ennuyeuse, indiscrète. Mais on dirait que sa vie est le résidus bourbeux, saumâtre, de son art. En celui-ci, plus rien d'impur. Non qu'il soit, en quoi que ce soit, "idéalisé". Tous les secrets intimes de Stendhal s'y montrent, nullement voilés ou maquillés, à l'état pur. A les considérer du point de vue de la morale ordinaire, presque tous ses héros favoris sont en puissance de crimes ( que plus d'une fois ils commettent), d'un amoralisme absolu, en amour, en politique, en dévotion ( ne disons pas : en religion; pas un instant Stendhal ne sait ce que c'est), dans tous les actes de leur vie, ert dans le fond de leurs pensées. Et cependant, leur pouvoir de séduction est irrésistible; il ne leur faut aucun effort, tout en eux est si naturel et si sincère qu'on n'essaie même pas de se défendre: on est conquis. Et l'on ne songe même pas à chicaner le cynisme et les crimes du comte Mosca, le bouillonnement de passion assassine de la Sanseverina, la nullité parfaite et l'oisiveté congénitale de Fabrice, la niaiserie bigote de Clelia qui triche sans trouble avec son Dieu, etc. ( et je ne parle pas ici du jeune monstre du "Rouge et le Noir" et de sa folle Mathilde, brûlante et sèche).

Mais c'est une magie. On est pris.Et par des moyens de style, d'une simplicité inimaginable, - sans éclat, presque sans soin - incroyablement lâché parfois et négligé. Mais d'un bout à l'autre, il coule une volupté qui vous enlace, sans bruit, presque sans mouvement, du "farniente. Rien de trop vif, rien de grossier. Dans tout ce livre qui n'est qu'amour, pas un seul mot ne trahit l'étreinte, le contact des corps amoureux; le récit toujours s'arrête au seuil du lit. Et la volupté n'en reste que plus intacte et plus enivrante. C'est une musique de Mozart. - En vérité, la vie qui s'écoule dans les veines de cette oeuvre est de l'essence du rêve. Et c'est de cette essence qu'est le plus pur de Stendhal - ( cel, qu'il ne met point dans sa vie notée, observée, et livrée à l'indifférence des autres). 

 

"Journal de Vézelay 1938-1944"   Romain ROLLAND p. 964-965.  Bartillat

 

Publicité
Publicité
7 avril 2020

Paul Claudel, vu par Romain Rolland

Paul Claudel et Romain Rolland se connaissaient, sans être vraiment amis. Ils appréciaient leurs oeuvres respectives.

C'est durant la "Drôle de guerre", début 1940, que Claudel exprima le souhait de rencontrer Rolland, à Vézelay, où habitait Rolland, et où il fut reçu durant une semaine.

Aussitôt arrivé, Claudel se lança dans une de ses habituelles et obsédantes tentatives de conversion, cette fois sur Macha, l'épouse d'origine russe de Rolland, de religion orthodoxe. Claudel l'emmenait tous les matins à la messe à Saint-Père ou à la Basilique de Vézelay. Mais ces tentatives échouèrent, et agacèrent Rolland qui était fiévreux et dut garder le lit durant tout le séjour du poète. Celui-ci venait l'entretenir en s'asseyant au pied du lit de Rolland. Le dernier jour du séjour de Claudel, Rolland décida d'effectuer un geste d'amitié envers lui, il lui demanda de réciter avec lui le "Pater Noster", ce qui émut aux larmes Claudel,  qui se mit à réciter la prière en latin, répétée par Rolland. Celui-ci alla encore plus loin en parlant de la Salette, où avait eu lieu une apparition de la Vierge ( alors que dans un de ses écrits Rolland avait défini Lourdes et la Salette comme " dégueulasses"). Claudel n'en revint pas, d'émotion il  baisa la main de Rolland et fit promettre à celui-ci de se revoir bientôt. Il considéra cette rencontre avec l'athée convaincu qu'était Rolland comme une grande victoire.

Rolland jugea sévèrement Claudel à la suite de cette rencontre. Il lui trouvait un physique de paysan champenois, d'où il était d'ailleurs originaire, petit et gros, la tête massive, presque sourd et parlant difficilement à cause d'un dentier mal fixé, ce qui n'était pas l'idéal pour un ambassadeur de la République. Il le trouvait grossier et rustre: à table, il piquait sa fourchette dans le plat de viande, et mangeait sa salade à même le saladier. Rolland devait pourtant recevoir, et abriter, lors de l'invasion allemande, Rosalie Vetch, la maîtresse de Claudel, et Louise, la fille qu'il avait eu d'elle. Rosalie devait être l'inspiratrice de l'Ysé du "Partage de Midi" et de Dona Prouhèze du "Soulier de Satin".

Le jugement de Rolland sur Claudel est sévère. C'est plus l'homme que l'oeuvre qu'il juge; il voit beaucoup d'hypocrisie dans son adultère avec Ysé, dans l'attitude envers sa soeur, Camille Claudel, qu'il fait enfermer dans un hospice pour mettre fin à sa relation avec Rodin, ses tentatives de conversion l'agacent, et sa course à l'argent lui répugne: " Il est curieux que ce soit toujours dans le monde de la richesse qu'évolue la pratique de ce catholique illuminé. Il y aurait là-dessus beaucoup à dire."

Les deux hommes, après cette unique rencontre, ne se verront plus jusqu'à la mort de Rolland en 1944.

Sur son oeuvre, quelques mois après cette rencontre, Rolland devait écrire, en date du 24 octobre 1940: " J'ai achevé ma deuxième lecture du "Soulier de satin". La plus grande oeuvre d'art du temps. La seule qui soit l'égale des plus grandes de Shakespeare. - Abondance et joie créatrices, l'imagination joue avec ses fantaisies. Ecrit pour son propre plaisir. Et dans ce jeu sans contrainte, des trouées de la plus foudroyante illumination, des plongées soudaines dans les profondeurs illimitées de la foi, de la joie et de la douleur.- Ce génie de Claudel ( si jamais ce mot de génie a un sens, c'est bien en lui) , qu'il est différent de l'homme, et lointain même de la réalité! Si dans la réalité il prend l'élan, il n'y prend jamais ses modèles; tous ses êtres sont irréels; et cependant ils s'imposent comme s'ils étaient vivants. - Il crée la vie, il ne l'imite pas."

Ysé et Louise sont enterrées au cimetière de Vézelay. Durant nos nombreuses visites sur la colline et son cimetière, nous ne sommes jamais parvenus à retrouver leur tombe. Sur celle d'Ysé-Rosalie, aurait été gravé un vers de Claudel, extrait de ses "Cent phrases pour éventails": " Seule / la rose/ est / assez / fragile / pour /exprimer/ l'Eternité."/

 

 

 

4 avril 2020

Chateaubriand vu par Romain Rolland

Dans son "Journal de Vézelay 1938-1944" (1) Romain Rolland rend un très bel hommage à Chateaubriand qui est, avec Stendhal, l'écrivain préféré de Rolland.

" On ne connaît pas ses vrais amis,. Il m'a fallu arriver au terme de ma vie, pour découvrir le Chateaubriand des "Mémoires d'outre-tombe". Je les lis avec ravissement. Je les relis, le soir, à haute voix, pour ma femme; et nous communions dans la même émotion et la même tendresse. Il n'est pas de plus grand livre en France. Et - à l'encontre de sa réputation - il n'en est pas où une grande âme s'exprime avec un naturel plus parfait, une telle richesse d'art et de coeur. Ce coeur de Chateaubriand, comme il a été méconnu! Quelle injustice, de le représenter comme égoïste! Qui, mieux que lui , a su aimer, et trembler, souffrir, pour ce qu'il aime, entretenir son souvenir éternellement! Dans ce qu'il appelle " la nécessité de l'isolement", comment n'a- t-on pas su voir le frémissement d'un coeur aimant, qui tremble devant la mort inévitable des êtres les plus chers!

Dans ces milliers de pages, où librement se jouent le rêve et le souvenir, entrelaçant toutes les époques de la vie, baignant le passé dans le présent, comme le présent dans le passé, au point qu'on ne sait plus ce qui est et ce qui fut, que tout est le même, que tout est rêve, et qu'on y perd pied, - où le récit plein de tendresse et d'enjouement, à tout moment, d'un coup d'aile, s'élève naturellement à l'éloquence la plus haute, puis redescend au ras du sol comme l'hirondelle ( l'oiseau cher à son coeur) - à tout moment, inattendue,fleurit de la lande où passe le vent de mer quelque fleur merveilleuse des profondeurs, une intuition mystique qui saisit.

Et ce constant regard intérieur ne fait jamais tort à celui sur le dehors. Qui jamais en France a, d'un coup de griffe, en quelques lignes, en quelques mots, su s'emparer de la forme d'un être - corps et esprit - de son destin - et le marquer, pour l'éternité! Quel portraitiste! Quel historien!  " Quarante siècles vous contemplent"." Le héros qui passe est déjà passé, dans l'infini du temps. Tout ce grand fracas, ce génie, ces gloires ...un grain de sable ...Et tout autour, l'immensité du désert...Silence...Chateaubriand rejoint Pascal...Mais que son coeur a de jeunesse, et que son sourire est charmant!Je l'enferme désormais dans mon trésor.- Qu'est, auprès de lui, un Hugo, un Balzac - toutes les grandeurs du XIXe siècle! Il est le Nil où se concentrent les eaux de l'ancien monde, de la Révolution, de l'Empire, - de trois ou quatre mondes disparus, - et de ceux à venir."

(1) "Journal de Vézelay 1938-1944" Romain Rolland p.306-307-308.

BARTILLAT

18 décembre 2019

Dino Buzzati et le "Désert des Tartares".

Valerio Zurlini avait, en 1976, réalisé un film consacré au roman de Dino Buzzati, "Le désert des Tartares".

Le film, magnifiquement restauré, vient de sortir en DVD. Paysages superbes - le film est tourné, pour les extérieurs, en Iran, à l'impressionnante forteresse de Bam, complètement détruite par un violent séisme en décembre 2003, mais depuis reconstruite à l'identique; acteurs de grand renom, Jacques Perrin, Philippe Noiret, Vittorio Gassman Laurent Terzieff, Jean-Louis Trintignant, Fernando Rey, Helmut Griem et Francisco Rabal entre autres.

Film à voir donc, même s'il ne répond pas à ce qu'on attend d'une interprétation cinématographique du célèbre roman. Il y manque ce qui fait tout l'intérêt du livre de Buzzati: cette atmosphère lourde et angoissante provoquée par le passage du temps, par l'ennui et la solitude qu'il provoque dans cette forteresse isolée du monde où on attend un événement qui ne viendra jamais: l'attaque des Tartares. 

Mission d'ailleurs impossible: le film exige de l'action, un jeu d'acteurs, de la musique qui distraient le spectateur  de ce que le lecteur trouve dans le livre et qui en a fait la célébrité. 

On peut ajouter, en conclusion, que ce très beau film peut encourager le spectateur à lire le roman, et à découvrir l'oeuvre de ce réalisateur italien peu connu, auteur de films d'une grande sensibilité. 

 

7 août 2019

Lire Rousseau aujourd'hui!

Il faut lire et relire Rousseau.

Se plonger dans une oeuvre qui apparaît aujourd'hui d'une brûlante actualité.

En effet, Rousseau fut – ce que lui reconnut Chateaubriand lui-même, pourtant considéré comme le grand maître du romantisme – le premier romantique; ses descriptions des Alpes dans «  La Nouvelle Héloïse » en font foi ; voilà qui, à l'heure des inquiétudes sur le changement climatique et de la redécouverte de la nature, est du plus grand intérêt. D'autre part, sa vision du monde et du bonheur répond à une évidente inquiétude de nos contemporains(1).

Pour ce qui est de la passion pour la nature, on lira « Les rêveries du promeneur solitaire » ou « La Nouvelle Héloïse », dont certains textes apparaissent comme l'illustration d'une Arcadie heureuse. Pour ce qui est de la philosophie de la vie, il faut lire l' »Emile ». Qui est un ouvrage consacré à l'éducation de l'enfant, vision révolutionnaire à l'époque, tout à fait d'actualité, aujourd'hui encore, et dont bien des parents pourraient s'inspirer, mais qui est aussi un plaidoyer pour une philosophie d'une vie heureuse.

Le bonheur, Rousseau l'a toujours cherché dans la nature - son « Bon sauvage » fut l'objet de la risée de Voltaire, qui ne pouvait pas le comprendre - et dans l'équilibre entre les désirs et la capacité de les réaliser. Sa définition de la philosophie du bonheur, on la trouve dans ce texte extrait de l' »Emile » :

«  En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n'est pas précisément à diminuer nos désirs ; car, s'ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n'est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s'étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n'en deviendrions que plus misérables : mais c'est à diminuer l'excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. C'est alors seulement que, toutes les forces étant en action, l'âme cependant restera paisible, et que l'homme se trouvera bien ordonné ».* (2)

C'est dans la pratique de cette vision de la vie, qu'on trouve à la fois le bonheur et la liberté.

Ecoutons, une fois encore, Rousseau :

«  L'homme vraiment libre ne veut que ce qu'il peut, et fait ce qu'il lui plaît. Voilà ma maxime fondamentale ».*

Une maxime que Rousseau a pratiquée toute sa vie, source de bien des déboires et de quolibets de la part de ses contemporains philosophes.* (3)

 

  (1) Ce qui fait le fond de commerce de tous ces « marchands de bonheur », pseudo-bouddhistes ou spécialistes en « méditations".

  (2) Shopenhauer devait reprendre le thème dans «  Le monde comme volonté et comme représentation », mais dans une vision beaucoup plus       pessimiste et négative

  (3) A ce propos, il convient évidemment de lire « Les Confessions » de Rousseau, son chef-d'oeuvre.

 

  • ROUSSEAU «  Oeuvres complètes » T3 L'Intégrale. SEUIL p.56

  • idem p.58

Publicité
Publicité
3 mai 2019

Proust et le baron de Charlus.

Tout commence par une rencontre sur la digue de Balbec, celle du narrateur avec Madame de Villeparisis, accompagnée d'un neveu, homme élégant, hautain, qui lui tend la main avec raideur et comme avec dégoût, sans prononcer un mot ; tout se termine dans une rue de Paris, dans un fiacre au fond duquel, tassé sur lui-même, les cheveux gris, longs et mal coiffés, la barbe blanche, le regard absent, un homme se réveille pour saluer, d'un large coup de chapeau, une passante, Madame de Sainte-Euverte, que le baron de Charlus, car c'est de lui qu'il s'agit, n'a jamais voulu connaître ou se rendre à ses invitations.

Entre l'orgueil d'un grand aristocrate et l'humiliation d'un homme usé, toute une vie qui remplit « La Recherche » de ses aventures et de sa lente décrépitude.

Proust ne cache pas sa fascina tion pour le personnage qui symbolise toutes les facettes de l'amour, sous la forme de l'homosexualité, que le baron exhibe sans fard, et qui va de la passion pour un jeune et beau violoniste, Morel, aux amours tarifées dans les bordels pour hommes.

Appartenant à la plus haute noblesse française, frère du duc de Guermantes – au passage le narrateur de se moquer de Madame Verdurin qui, ignorant tout des titres nobiliaires, croit que Charlus, n'étant que baron, passe après le comte de Forcheville qui, pour le baron, n'est rien du tout,  car les grandes familles aristocratiques ont en réserve toute une série de titres dont ils disposent pour leurs cadets, et Charlus a choisi ce titre, d'apparence modeste, mais qui remonte aux temps les plus anciens, comme le duc de Guermantes, avant la mort du duc son père, était Prince des Laumes – Palamède de Charlus occupe une énorme situation mondaine dans le noble Faubourg Saint-Germain où il fait la loi en ce qui concerne les relations sociales, terrorisant ceux qui n'y obéissent pas. Cette situation, il n'hésitera pas à la mettre en danger par sa relation avec le jeune Morel, violoniste de talent, qu'il va imposer au Grand Monde. Cet amour est peut-être, bien plus que celui du narrateur pour Albertine, centré sur la jalousie et la curiosité obsessionnelle qu'elle éveille, l'évènement le plus noble et le plus finement analysé de ce roman où tout n'est que cynisme, superficialité, vulgarité de la pensée, bassesse de sentiments et décrépitude. Un amour dont le jeune Morel n'est d'ailleurs pas digne, car c'est un garçon veule – il désertera durant la guerre et se fera journaliste cancanier – qui profite des largesses du baron et de sa sensibilité pour le trahir, sans pour autant mettre fin à la passion du baron, prêt à tout pour se l'attacher.

Le personnage de Charlus, si on dépasse ce qu'il a d'agaçant par son orgueil d'aristocrate, est attachant par ce contraste entre la hauteur d'un homme influent par sa position sociale, et la sensibilité d'un amoureux pris d'une passion qui lui fera accepter les pires humiliations.

Proust a dû aimer le personnage, comme il a aimé Saint-Loup, mais celui-ci n'est que l'ombre de son oncle. On en veut pour preuve la scène la plus cruelle du roman, lorsque, à l'occasion d'une soirée organisée par madame Verdurin, celle-ci parvient à convaincre Morel de rompre avec le baron, ce qu'il fait en public, accompagnant cette rupture de graves accusations qui rendent le baron sans voix, comme frappé à mort par la perte de son grand amour. Une scène que Proust décrit non seulement avec son talent habituel d'observateur de l'âme humaine, mais, on le sent, avec une émotion et un sentiment d'amitié envers la victime qu'on ne trouve que rarement dans son roman.C'est peut-être pourquoi, même absent du récit, on sent la présence inquiétante du baron à toutes les pages du roman. Car l'ombre de Charlus plane sur toute « La Recherche ». Et c'est peut-être aussi de lui, avec ses qualités, bien réelles, ses vices et ses défauts, immenses, que Proust s'est reconnu le plus proche, et qu'il a reconnu en lui les effets du Temps qui passe.

 

 

16 avril 2019

Proust. Une relecture!

Hier j'ai terminé une relecture, sans doute la cinquième ou la sixième, et peut-être pas la dernière, de « A la recherche du temps perdu ».

Une relecture pianissimo – j'ai mis deux mois pour la terminer – qui m'a permis de saisir toute la beauté de ses phrases, ondoyantes comme les lianes de l'Art Nouveau, et de retrouver cette angoissante philosophie du Temps en même temps que le profond pessimisme de cette oeuvre immense.

J'ai retenu, tout à la fin du « Temps retrouvé », cette phrase très symptomatique du pessimisme de Proust :

 

« Quant au bonheur, il n'a presque qu'une seule utilité, rendre le malheur possible ».

 

« Le Temps retrouvé »

Marcel PROUST

 

5 avril 2019

Malaparte et le Grand Nord!

71DfNS69QlL

Sur son blog « La République des lettres », Pierre Assouline parle à propos du livre de Malaparte,   « Journal Secret 1941-1944 », d'une lecture assomante et sans intérêt, jugement qui m'avait choqué par sa brièveté et sa dureté, jusqu'à croire que peut-être il ne l'avait même pas lu entièrement, car grand amateur des écrits de Malaparte, je ne pouvais imaginer de sa part un texte « assomant ».

Après lecture, je dois reconnaître qu'Assouline n'a pas tout à fait tort, que, pour utiliser une formule assez vulgaire, «  il y a tromperie sur la marchandise » ! En effet, les deux tiers de ce livre de plus de 300 pages consistent en compte-rendus, en style télégraphique, de visites chez des gens totalement inconnus, ou dont la connaissance, vu cette brièveté télégraphique, ne présente aucun intérêt.

Heureusement qu'au milieu de cette litanie de visites se cache une véritable pépite. Elle ne fait qu'une quarantaine de pages, mais on y retrouve l'immense talent de peintre de la nature d'un Malaparte, un talent qui annonce son chef-d'oeuvre qu'est « Kaputt » (qu'il est d'ailleurs en train d'écrire à ce moment-là). Ces pages concernent la visite que fit l'écrivain comme correspondant de guerre en Finlande et dans le Grand Nord, au plus fort des affrontements entre Allemands et Russes.

Il sera peu question de guerre dans ces pages brillantes, dignes d'un Chateaubriand, mais de la splendeur d'une nature vierge, prise par le gel, croulant sous la neige, que Malaparte décrit avec le talent d'un grand peintre. Des pages inoubliables !

Je ne conseillerai à personne l'achat de ce livre, mais je ne le regrette pas, rien que pour ce voyage merveilleux dans le Grand Nord.

 

 

8 mars 2019

" La vraie vie de Vinteuil"!

« La vraie vie de Vinteuil »

 

JEROME BASTIANELLI

 

Grasset

 

Cette biographie fictive du musicien de « La Recherche » est évidemment réservée aux proustiens patentés, ou pour le moins aux lecteurs de « A la Recherche du Temps Perdu » qui, seuls, pourront en saisir à la fois ce qui le lie au roman de Proust, et l'humour qui lui sert de petite musique de fond.

Vinteuil, même s'il n'apparaît que dans deux ou trois pages de l'énorme roman, par son oeuvre musicale, cette fameuse sonate dont est extraite cette «  petite phrase » qui sera en quelque sorte le fil rouge du roman, puisqu'il sera le symbole de l'amour de Swann pour Odette, du Narrateur pour Gilberte et pour Albertine, et du baron de Charlus pour le violoniste Morel, y joue un rôle plus important que sa présence réelle dans l'oeuvre. Comme Elstir représente la peinture, Bergotte la littérature, Vinteuil, musicien auquel Bastianelli rend un rôle à la taille de son talent imaginaire, représente la musique, qui joue dans « La Recherche » un rôle important, à la fois artistique et mondain.

Jérôme Bastianelli, proustien qualifié, Président de la « Société des Amis de Marcel Proust », est évidemment en pays de connaissance, seul capable de relier Vinteuil à l'oeuvre littéraire. Mais ce roman est aussi l'occasion de se plonger dans une périoide faste pour la musique française, puisqu'on y rencontre César Franck, Debussy, Bizet, Massenet, Lalo, Saint-Saëns, Vincent d'Indy, Berlioz, Liszt et Chopin. Un monde musical que l'auteur connaît bien, étant l'auteur de biographies de Félix Mendelssohn, Bizet et Tchaïkovsky, parues chez Actes Sud.

Livre passionnant, pour l'amateur de Proust et de musique française que je suis, que j'ai dévoré en un après-midi !

23 janvier 2019

Lire Proust!

On peut lire et interpréter « A la recherche du temps perdu » de différentes façons, notamment en fonction de son âge, de ses centres d'intérêt.

Imaginons une première lecture à l'âge de vingt ans, l'âge des découvertes, des engagements sociaux ou politiques, qui verront le lecteur s'intéresser plutôt au volet social du roman. Tout le monde, ou presque, connaît cette exceptionnelle scène de « La recherche » où l'on voit les pauvres de la petite cité balnéaire qu'est Balbec s'agglutiner devant les grandes baies vitrées du « Grand Hôtel » à l'abri desquelles dînent les riches vacanciers, qu'ils obervent comme on observe des poissons exotiques dans un aquarium. Proust dépasse d'ailleurs la seule image, en précisant qu'un jour peut-être les pauvres briseront les baies vitrées. Les hiérarchies sociales sont strictes dans le roman, à l'image de celles contemporaines de l'auteur, elle va de la bonne Françoise qui s'épuise au travail du ménage malgré son grand âge, à Octave « aux choux », riche dandy, fils d'un important industriel, qui ne fait que jouer au golf.

On peut le lire plus tard, vers la trentaine, âge des aventures amoureuses, et alors on se passionnera pour les amours de Swann et d'Odette, ou du narrateur avec Albertine. En même temps qu'on s'inquiétera des « désillusions amoureuses », qui furent celles de Swann et du narrateur, de l'obsession de l'infidélité et de la jalousie, qui constitue un des grands thèmes du roman.

Vers la quarantaine, on peut être passionné de politique, et alors c'est Norpois qui retiendra l'attention, ce haut-fonctionnaire des Affaires Etrangères en connaît toutes les arcanes, et c'est un fin connaisseur de la politique européenne, sans oublier, bien évidemment, le retentissement de l'Affaire Dreyfus, dont il est longuement question dans le roman.

Ou alors on peut-être passionné par l'Art, la beauté dans tous ses états : la musique avec Vinteuil, la peinture avec Elstir, l'architecture avec Ruskin. Ou tout simplement la nature, celle des aubépines en fleurs, des falaises normandes, décrites avec beaucoup de finesse par l'auteur.

Enfin, à un âge plus avancé, le passage du temps peut provoquer chez le lecteur un sentiment de profonde mélancolie, telle la dernière scène du roman où le narrateur redécouvre tous ses personnages vieillis, avec toutefois une lueur d'espoir, puisque le narrateur trouve sa rédemprtion dans l'écriture de ce roman dont il rêve depuis toujours.

 

 

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Carnets d'automne
Publicité
Archives
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 114 461
Carnets d'automne
Publicité